Extrait du blog de Jack Dion pour Marianne.
Le carré rouge de la colère flotte sur Avignon (mais le spectacle continue)
Jack Dion | Jeudi 10 Juillet 2014 / Marianne.Curieux festival d’Avignon où spectacle et combat se mêlent en permanence sous des formes diverses. Cela se voit aussi bien dans le In pour « Orlando ou l’impatience » d’Olivier Py, que dans deux pièces du Off, « Souterrain blues » de Peter Handke, mis en scène par Xavier Bazin, et « Au dehors » d’Alain Ubaldi.
Avec « Souterrain Blues », de Peter Handke, mis en scène par Xavier Bazin, dans le Off, on est assuré de ne pas sombrer dans l’enflure verbale. Chez Handke, un mot est un mot. Il est pesé au trébuchet, étudié, raboté si nécessaire, pour viser juste et n’en pas dire plus qu’il ne faut.
Handke conte l’histoire d’un homme (superbe Yann Collette) qui recherche la beauté humaine, et qui accuse les gens ordinaires de lui barrer la route de cette quête tant ils sont obsédés par des choses de la vie secondaires, bassement matérielles, viles, méprisables.
Tout en marchant en long et en large sur la scène (On marche beaucoup, chez Handke), Yann Collette déverse sa bile sur ses contemporains, un peu à la manière d’un Thomas Bernhard, l’autodestruction en moins. Il leur reproche de passer en permanence à côté de l’essentiel, de se complaire dans le superficiel. Il les apostrophe, il les interpelle, il les provoque, il les injurie, en quête de cette unique question : « Où es-tu passée beauté humaine ?»
Soudain surgit sur scène une superbe brune (Véronique Sacri) qui fait office de Scud envoyé à la figure de l’atrabilaire masculin. Elle inverse les rôles. A l’homme pétrifié par la femme venue du néant, elle oppose la jeunesse, la sensualité, la provocation et la réalité de l’humaine condition.
Dégage ! lui dit-elle. Vas vivre sur une planète isolée, calcifié que tu es par les flatulences de la beauté perdue, pars pour le Paradis inhabité. Et l’on voit alors l’homme aveuglé venir ses réfugier dans les bras de la belle, comme s’il avait soudain réalisé que sa quête de l’impossible lui avait fait rater l’essentiel. Un très grand moment de théâtre, assurément.
* « Souterrain Blues » de Peter Handke, par la Compagnie La Bataille, mise en scène Yann Collette, Collège de la Salle jusqu’au 27 juillet (04 32 76 20 33), festival Off.